Cela devait bien faire quelques mois qu’A’Shua faisait partie de la clientèle de la Taverne. La première fois que je l’avais aperçu, mon cœur avait fait un bond dans ma poitrine, car ce chevalier n’était pas n’importe qui. Il était bien un des seuls que je respectais et que j’appréciais malgré le fait qu’il appartienne au Weyr. Ami très proche de B’en, je m’étais bien entendue avec lui et sa femme qui répondait au nom de Soltaya. D’ailleurs, ce couple là était l’un des plus beaux qu’il m’avait été donné de voir. Soltaya était quelqu’un de doux, compréhensif et patient, tout comme A’Shua d’ailleurs – des traits qui me font manifestement défaut. Soltaya respectait les valeurs du Weyr – moi, je ne souhaitais pas passer après ça dans la considération de mon chevalier.

Malheureusement, Soltaya contracta une infection qui lui fut fatale, et je partageais le chagrin de son époux, car cette femme-là avait bien été la seule amie véritable que je pouvais m’être vantée d’avoir eu. Je ne suis pas une femme au caractère facile, et rares sont celles qui se sentaient à l’aise en ma compagnie – allez savoir pourquoi. Je soutins A’Shua dans les premiers jours de son deuil, remuée par cet évènement tragique. La situation s’envenima rapidement entre moi et B’en – ce dernier ayant omis de me parler des petits détails fâcheux que le Weyr supposait. Je partis, incapable de faire mes adieux à A’Shua pour lui expliquer ce qu’il venait de se passer.
Je remballais ma fierté et mon affection, poussant tout cela dans les méandres de mon esprit.

Et voilà quelques mois que je l’évite et que je charge mes employés de s’occuper prioritairement de lui. A chaque fois que je le vois, je repense à B’en, je repense à Soltaya, et j’ose imaginer le chagrin qu’il doit en ressentir. Je prends conscience de ce que j’ai perdu.

« Vous avez besoin de me parler Schaklye ? Venez, marchons un peu… »

Je suis légèrement surprise. Après l’avoir vu quitter l’enceinte de la Taverne, je l’ai suivi à pas de loups, secouée par les tourments qu’il suscite en moi. Bien entendu, il s’est rendu compte de ma présence. Enroulée dans ma pèlerine sombre, je m’approche doucement jusqu’à son niveau, mes yeux plantés dans les siens. J’hésite un instant, puis je prends la parole.

« Bonsoir A’Shua… » Soufflé-je dans un murmure à peine audible.

Je marche à ses côtés, regardant les alentours de manière évasive avant de reporter mon attention sur lui.

« Je voulais savoir comment vous alliez… Et m’excuser aussi. » Ajouté-je. « Cela fait maintenant deux ans, et je ne me suis pas sentie le courage de venir vous parler jusqu’à maintenant. »

Je secoue légèrement la tête, fronçant les sourcils d’appréhension. A’Shua n’a pas vraiment changé – mais son visage reflète toute la lassitude et la tristesse qu’il en vient en ressentir.