Tandis que l’eau étouffe à peine le feu qui s’anime sous mes yeux, je finis par saisir l’épais tissu qui recouvre l’une des tables pour le jeter sur les flammes. Je tape du pied pour que les flammes se dissipent puis lorsque la fumée m’indique que cela ne brûle plus, je calme ma respiration, portant mes mains à ma tête, rassurée.

« Pourquoi avoir brulé cette cape ? La couleur vous déplaisait ? »

La voix grave qui s’adresse à moi me fait sursauter et je fais volte face, plantant mes iris clairs dans ceux de mon interlocuteur. C’est bien l’homme qui s’était assoupi au comptoir – et je peux le reconnaître maintenant qu’il me fait face. Il me semble que son nom est K’lsay, le chevalier dragon vaniteux qui traîne souvent en compagnie d’A’Shua. D’après ce que j’ai entendu dire à son sujet, il n’est qu’un goujat, bourru et orgueilleux.

Après quelques secondes où je le scrute sans scrupule, j’ose réagir sur ses mots. Sa cape ?! Mes sourcils se froncent de colère et mon regard se fait noir, ce qui n’annonce rien de bon. Il est responsable de cet incendie et ne semble guère s’inquiéter. Ne pouvant retenir l’élan de violence qui m’éprend de toute part, je ne retiens pas ma main qui le gifle - le bruit retentissant dans la salle vide légèrement embrumée par la fumée.

« Votre cape ?! » M’insurgé-je. « La prochaine fois, jetez-vous dans le feu ! ça nous débarrassera de votre stupidité ! »

Je me retourne, détournant mon attention du chevalier pour regarder le tissu fumant qui git à terre puis je pointe mon index menaçant sur le chevalier.

« Si je n’avais pas été là tout aurait brûlé que vous ne vous en seriez même pas rendu compte. Bon sang, est-ce que vous êtes ivre ? » Lui demandé-je, les yeux plissés en scrutant son visage.

Il était trempé mais il n’avait pas l’air d’être ivre. K’lsay, en plus d’être un chevalier dragon, était quelqu’un qui se trainait une lourde réputation. Il était sûrement aussi fier que moi je l’étais et son orgueil avait d’égal son plaisir pour la boisson. En gros, je me tenais devant un sacré spécimen.

Pour la première fois, je le discernais de prés. Ses yeux étaient aussi clairs que les miens – sa barbe de trois jours et ses cheveux indisciplinés étaient souvent typiques des chevaliers dragons. Les quelques rides qui marquaient son visage avaient quelque chose de charismatique, mais tout, dans son comportement, m’indiquait qu’il adorait la provocation.
Je croise les bras contre ma poitrine en le regardant d’un air désapprobateur.

Après mon emportement considérable, je me contente de fixer le chevalier, la colère laissant place à mon soulagement. La Taverne n’avait pas brûlé et K’lsay me regarde avec un regard torve qui n’annonce rien de bon. Et bien oui, je l’ai giflé et traité d’imbécile mais je pense qu’il l’a grandement mérité. Il se met à bouger et pousse un fauteuil qu’il me désigne.

Si vous avez fini de me passer a tabac, je vous suggère de vous asseoir pour vous remettre de vos émotions. Ne vous inquiétez pas, je nettoierai !

J’hausse un sourcil, à la fois surprise et perplexe vis-à-vis de la situation. La tension redescend doucement dans mon corps et je regarde le chevalier se diriger vers la cuisine.

Ce qu'il vous faut c'est un grand bol de Klah!

Je remarque qu’il boitille et je me demande brièvement à quoi cela pourrait être du. Lorsqu’il disparaît dans le couloir, je me laisse tomber dans le fauteuil, glissant une main sur mon front en soupirant. En voilà une nuit mouvementée.
J’entends la voix masculine s’adresser à moi depuis la cuisine et la question qu’il me pose me fait hausser les sourcils.

Pourquoi détestez vous à ce point mon ami,A'shua?

A’Shua ? Je ne l’ai jamais détesté. Cette remarque me fait redresser la tête, les sourcils froncés dans un air de dépit. Est-ce A’Shua qui a raconté ça à mon sujet ? Cela m’étonnerait de lui. J’appuie mon coude sur le dossier du fauteuil, me tournant en direction du couloir par lequel revient le chevalier et je l’interroge du regard.

« Qui vous a dit que je le détestais ? » Lui demandé-je alors. « C’est faux. J’apprécie beaucoup A’Shua – c’est bien l’un des seuls chevaliers que je respecte comme un ami. »

Je marque une pause.

« Qu’est ce qu’il vous a dit à mon sujet ? » – je plisse les yeux d’un air inquisiteur.

Oui je suis très curieuse, surtout lorsqu’il s’agit des informations concernant mon passé antérieur avec B’en.

Oui, juste après le décès de sa femme, il s'est montré très distant avec tout le monde... Vous l'avez connue ? Sa femme je veux dire, c'était un sacrée bout de femme ! A'shua a été sévèrement ébranlé ce jour là. Même son bronze ne convoite plus les dorées. Si mon dragon pouvait se comporter de la sorte !

Les muscles de mon corps se crispent simultanément. Soltaya était une femme remarquable, qui ne méritait ce qui lui était arrivé. Malheureusement, le destin, et qui plus est la vie, sont des garces.
Je me contente d’hocher brièvement la tête lorsqu’il me parle du chagrin d’A’Shua – ils étaient tout deux si beaux à voir. D’un air songeur, je fixe le visage de K’lsay lorsqu’il en parle. Celui-ci a l’air de réellement apprécier son ami. Ils m’ont tout l’air d’être comme deux doigts de la main.
Face à mon incompréhension agacée au sujet du Weyr, le chevalier n’hésite pas à faire une remarque… Très judicieuse. Trop.

Je ne comprend pas pourquoi vous avez l'air si concernée.

Je change volontairement de sujet, ne prenant même pas le temps de répondre à cette attaque, et d’ailleurs, ce dernier n’hésite pas à me le faire remarquer, m’arrachant un sourire narquois.

Vous êtes douée pour changer de conversation ! Parlez a un chevalier de son dragon, et il oubliera tout le reste, n'est ce pas ?

Je secoue légèrement la tête en souriant. Non, ce n’est pas ce à quoi j’avais pensé – je suis juste curieuse d’en apprendre plus. Je finis par plisser malicieusement les yeux – que cherche-t-il à apprendre à mon sujet ? Ma rancœur amoureuse est-t-elle si évidente que ça ?
Le chevalier attise de plus en plus ma curiosité bien que je ne tente de ne rien en montrer – il semble disposé à m’en apprendre un peu plus sur le Weyr et son dragon.

Et bien d'accord, mais gardez dans un coin de votre esprit, que j'ai un grand service a vous demander. Quand a mon dragon et bien c'est lui qui se présentera...

La pensée qui me traverse aussitôt l’esprit est : quel service peut-il bien me demander de lui rendre ? Puis, lorsqu’il se calle dans son fauteuil d’un œil concentré, je ne peux m’empêcher de le fixer avec intensité. Quel tour de passe-passe que voilà !

Bonjour Schaklye ! Je m' appelle Wrenth, je suis un grand Dragon brun.

Je le regarde de manière circonspecte. B’en m’avait toujours mis à l’écart de sa relation avec son dragon, et je ne les pensais même pas capable de faire cela ! Parler à travers leur maître – c’était vraiment déroutant. Les mimiques gestuelles de K’lsay suscitèrent en moi un amusement non dissimulé. Même si l’homme qui me fait face est le même, quelque chose dans son regard me parait différent. J’y lis une étrange bienveillance. Et de l’espièglerie.

J'ai 39 révolutions ce qui fait de moi un dragon mature même si mon chevalier me compare souvent a un adolescent. Un jours si vous le désirez je vous emmènerai dans les cieux, les gens des fort aiment rarement ça, mais ça vaut le détour pour les pieds lourds qui jamais ne volent, il vous a parlé de nos instincts, mais est ce qu'il vous a parlé des siens ?

Soudain, son intonation change et je peux deviner que K’lsay se décide d’intervenir.
Non Wrenth ! Calme !

Mon visage laisse place à la surprise puis à l’amusement. Je me mords sauvagement la lèvre inférieure pour m’empêcher de rire. Je peux me douter que les instincts d’un homme sont toujours plus ou moins les mêmes. Plus il s’adresse à moi et plus il se rapproche, me déstabilisant de plus belle. Je balaie quelques mèches de cheveux de mon visage et lui rend son regard fixe.

Mon Chevalier aime garder ses secrets, et n'aime pas être manipulé. Il est une chose cependant, que nous les dragons, avons découvert sur vous les hommes et cette chose c'est ...

Je fronce imperceptiblement les sourcils. Le manipuler ? Je ne pense pas que ce soit ça. Je n’ai nulle intention de le manipuler, juste me préserver. Notre proximité soudaine me dérange car je ne lis nulle intention sur le visage de mon interlocuteur puis à peine ai-je le temps de réaliser que ses lèvres viennent effleurer les miennes, dans un baiser volé qui me laisse pantoise. Le pire dans tout ça, c’est que ce n’est pas désagréable. J’écarte alors brusquement mon visage, me rendant compte de la situation. Non, pas une fois de plus… Je le questionne du regard, enfoncée dans mon siège.

« Euh… De qui était ce baiser ? L’homme ou le dragon ? » Lâché-je. « Pourquoi avez-vous fait ça ? »

Et pourquoi ne m’étais-je pas reculée plus tôt ? Je n’en sais rien. Mais ce que je sais, c’est que même si cet homme peut me paraître un tant soit peu séduisant – tout cela est une très mauvaise idée.

« Et qu’est ce qui vous fait dire que je compte vous manipuler ? » Ajouté-je, comme pour briser cette gênante situation.